Lorsqu'on commente l'architecture
médiévale, on parle parfois de "l'art du trait", en
le situant principalement à l'époque de l'art gothique.
Pour tailler les matériaux afin de les intégrer dans
un ensemble, il faut un tracé rigoureux faisant ressortir
leur coupe selon des volumes dans l'espace, tant pour les pierres
que pour la charpente. Cette science du dessin est nommée
"stéréotomie", et dans le Compagnonnage "Art du trait".
Dans le "carnet" de l'Art de la Géométrie, Villard
de Honnecourt, maÓtre d'uvre picard du début du XIIIème
siècle (mort en 1260), a consigné les tracés
de quelques églises -- notamment Reims et Lausanne -- et
il revendique la construction du chur de la cathédrale
de Cambrais (1227), du chevet de la cathédrale de Meaux (1257)
et de la collégiale de Saint-Quentin.
Il écrit dans son célèbre
album : Ç Ici commence la méthode du trait pour
dessiner les figures ainsi que l'art de géométrie
l'enseigne, pour facilement travailler... È. Ce document
de 66 planches, écrit en dialecte picard, est conservé
à la Bibliothèque Nationale. Ainsi, les tracés
régulateurs des églises reposent sur des formes géométriques
simples qui sont à l'image et aux proportions des corps et
des figures humaines ; ces "divines proportions" mettent en
évidence l'emploi des nombres irrationnels, du nombre d'or
(1,618), la quadrature géométrique du cercle.
Ces tracés agissent comme dans le cas d'un mandala, élément
initiatique qui mène à la plus intense réflexion.
Philibert Delorme (1515-1570) parle de cet art
ancien. Désargues, en 1643, nomme cette "géométrie
projective" la "pratique du trait à preuves", avant que Monge
(1748-1818) divulgue cette connaissance des Compagnons du Tour de
France dans son traité publié en 1799 (an VII).
Le trait est effectivement analogue au procédé
de géométrie descriptive, une méthode sans
calcul et résolvant cependant tous les problèmes de
la technique à partir de deux instruments simples : la règle
et le compas. La Pendule à Salomon est l'un
des graphismes mnémotechniques de ces épures ;
Raoul Vergez en a tiré un roman et un film. Le musée
de Romanèche-Thorins conserve de remarquables tracés
de l'école de Pierre-François Guillon qui a formé
de nombreux disciples entre 1871 et 1923.
Certains commentateurs attribuent aux Templiers
ou à Bernard de Clairvaux l'invention de ce tracé
qui, en réalité, a une origine beaucoup plus ancienne,
et purement opérative. La Bible insiste sur le fait
que lors de la construction du Temple de Salomon, il n'y avait Ç nul
bruit de marteau, ni de hache, ni d'aucun instrument de fer È car
les pierres Ç étaient taillées avant d'être
apportées È (I Rois;V, 8) : ce qui laisse supposer
que pour réaliser la taille correcte des pierres, il fallait
savoir faire des tracés précis de ces coupes.
L'architecte romain Vitruve, contemporain de Jésus, évoque
dans son magistral Traité d'Architecture un procédé
qui paraÓt bien semblable ; ces tracés ont permis la
construction de monuments bien avant l'époque carolingienne,
et à défaut d'un texte écrit, nous devrions
étudier nos monuments anciens -- comme Saint-Laurent à
Grenoble -- pour nous rendre compte... (ARTICLE COMPLET SUR
ABONNEMENT).
Jean-Pierre BAYARD
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